Une histoire du courant lesbien féministe en France
Une conférence de Camille Morin-Delaurière
Résumé
Dans le cadre du cycle des Mardis de l’égalité, en partenariat avec Histoire du féminisme à Rennes
Camille Morin s’appuiera sur ses recherches pour explorer les relations entre les mouvements féministes et homosexuels de l’époque, en mettant en avant le rôle important des militantes lesbiennes dans les luttes pour la libération des femmes.
Ce courant lesbien féministe, d’abord marginal au sein du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), a rapidement gagné en visibilité. En affirmant que « le lesbianisme est politique » et en revendiquant la dimension révolutionnaire des sexualités minoritaires, ces militantes ont cherché à bouleverser les normes hétéropatriarcales et à mettre en lumière la « double discrimination » qu’elles subissaient en tant que femmes et lesbiennes.
Camille Morin-Delaurière montrera comment ce courant a évolué, s’intégrant d’abord aux franges radicales du MLF, avant de s’autonomiser au début des années 1980. Elle expliquera aussi comment la visibilité lesbienne est devenue une revendication centrale, transformant les luttes féministes et contribuant à l’évolution des mouvements sociaux en France.
Transcription
Bonsoir à toutes et tous.
Je suis ravie de voir une salle bien pleine pour ce dernier rendez-vous des Mardis de l’égalité.
On est en train de vous préparer la 10e année, la saison anniversaire.
Voilà, on est à fond là-dessus.
On vous révélera tout ça bientôt.
Ce soir, pour ce dernier rendez- vous, on a le plaisir d’accueillir Camille Morin-Delaurière, qui est en fin de doctorat à l’Université de Toulouse en histoire et en sciences politiques.
On a invité Françoise Bagnaud à s’associer à cette conférence, qui est coprésidente de l’histoire du féminisme à Rennes et qui, en fin de propos de Camille, fera un focus tout particulièrement rennais sur cette histoire du mouvement lesbien politique à Rennes dans les années 70 et 80.
Je voulais juste vous dire un petit mot, le rendez-vous de ce soir est associé à un autre rendez-vous jeudi, le dernier spectacle de la saison auquel je vous invite chaudement à venir, qui s’intitule « Monique, es-tu là ?
», de la compagnie La Divine Bouchère qui sous la forme d’une séance de spiritisme appelle l’esprit de Monique Wittig, et ce sont des tas de voix lesbiennes qui vont se raconter.
Ça se finira en DJ set dans le hall, on fête la fin de saison avec joie.
On vous invite à être là jeudi pour ce dernier rendez-vous de la saison.
Qu’est-ce que j’ai à vous dire d’autre ?
Rien du tout, juste une belle écoute.
J’excuse Emmanuel Smirou qui est la vice-présidente Égalité, qui est coincée avec un limbago et n’a pas pu être avec nous.
Je lui fais un clin d’œil, d’où le fait que c’est moi qui vous parle ce soir.
Je laisse la parole à Camille puis à Françoise et je vous souhaite une bonne conférence.
[Applaudissements] – Bonjour à toustes.
Merci beaucoup pour l’invitation à cette conférence des Mardis de l’égalité.
Je vais vous faire le début de la conférence qui concerne un peu plus mes données pour ma thèse.
et ensuite Françoise viendra faire un focus sur le mouvement lesbien à Rennes dans les décennies 80-90.
Avec Françoise, on s’est rencontré parce qu’on a fait une étude sur le mouvement lesbien à Rennes avec l’association Cité d’Elles et Femmes Entres Elles qui existe toujours, et dont certaines sont ici dans la salle.
On va se partager comme ça la parole.
J’ai intitulé le début de cette conférence « Qui fait vivre les lieux du mouvement de libération des femmes en France aujourd’hui, des lesbiennes.
Une histoire du courant lesbien-féministe en France dans les années 70 et 80.
» « Femmes qui refusons les rôles d’épouse et de mère, l’heure est venue du fond du silence, il nous faut parler.
On nous a enfermé dans le silence de notre insignifiance… Nous sommes rejetées, cachées, données en spectacle, insultées, parce que nous sommes des femmes qui refusons de nous soumettre à la loi des hommes phallocrates et hétéroflics.
Lesbiennes, nos sœurs, n’ayons plus honte de nous.
Nous sommes fondamentalement subversives.
Nous sommes créatrices de jouissance en dehors de toutes les normes reconnues par la société patriarcale capitaliste.
Nous construisons notre autonomie de femmes, nous préparons notre libération.
» Deuxième tract.
« Pourquoi un militantisme spécifiquement lesbien ?
Dans les luttes féministes, les problèmes propres aux lesbiennes n’étaient pas pris en compte.
Même si on ne peut pas séparer la lutte des femmes de celle des lesbiennes, il faut aussi un « front » propre.
» Douze années séparent la rédaction de ces deux tracts.
Le premier est publié en mai 1972 par Les Gouines Rouges, le premier groupe lesbien militant en France, et le second qui est diffusé en 1985 par Le Miel, qui est le mouvement d’information et d’expression des lesbiennes, une association lesbienne féministe dans la capitale.
Ensemble, ces deux textes témoignent un peu de l’évolution des théories lesbiennes féministes en France.
Cette conférence s’appuie sur les analyses que j’ai développées dans le cadre de ma thèse de doctorat en histoire et en sciences politiques que je réalise à l’Université de Montréal et à l’Université de Toulouse – Jean Jaurès.
Cette dernière porte sur les relations d’imbrication, de convergence, de divergence qu’entretiennent les mouvements féministes, lesbiens et homosexuels en France de 1970 à 1989.
Mon travail s’appuie principalement sur des groupes parisiens, mais aussi avec des analyses compara- tives qui portent sur des villes de régions, notamment Rennes, Toulouse et Marseille.
L’essentiel de mon travail repose sur l’analyse de sources d’archives militantes qui sont issues de fonds d’archives publiques, donc la Contemporaine de Nanterre, la bibliothèque Marguerite Durand, des fonds d’archives associatives aussi, les Archives Recherches Cultures Lesbiennes (ARCL), le Centre LGBT de Paris, et aussi des fonds d’archives privés de militants et militantes.
J’ai également réalisé 17 entretiens avec des militantes féministes, lesbiennes et des militants homosexuels.
Le mouvement de libération homo- sexuelle et les mouvements lesbiens émergent en France au cœur des années 70, à quelques années d’intervalle, dans un contexte qui est marqué à la fois par l’héritage de mai 68 et par l’héritage du Mouvement de libération des femmes (MLF).
Je ne vais pas développer là-dessus mais on pourra y revenir pendant l’échange après.
Je vais commencer la conférence par deux points importants pour la discipline historique, un point sur l’historiographie et un point sur la méthodologie des sources qu’on peut utiliser pour écrire l’histoire du mouvement de libération homosexuelle et des mouvements lesbiens.
L’historiographie, qu’est-ce que ça veut dire concrètement de travailler sur l’histoire des mouvements LGBTQ ?
D’abord, explorer l’histoire de l’homosexualité, du lesbianisme dans le cadre universitaire, ça soulève encore aujourd’hui des réticences.
En France, les recherches consacrées à l’histoire des mouvements LGBTQ+, sont développées bien plus tardivement que dans les pays anglo-saxons, où ces travaux ont été rapidement reconnus comme des savoirs légitimes du champ académique.
En fait, les obstacles au dévelop- pement de cette histoire en France s’expliquent un peu par la différence établie entre le monde universitaire et le monde militant, ainsi que par une grande importance qui est accordée à l’objectivité dans les traditions de recherche françaises, qui soupçonnent souvent les chercheureuses, qui s’intéressent à ces sujets d’être trop subjectif·ves ou trop militant·es.
Finalement, comme le mentionne Mathias Quéré dans son ouvrage « Qui sème le vent récolte la tapette » l’université française, en conséquence, a longtemps jugé irrecevables les études LGBTQIA+, sous prétexte que leurs objets seraient marginaux et leurs auteur·rices partielles partiaux.
En France, les études sur la sexualité, de manière générale, émergent dans les années 80.
Les premiers travaux consacrés à l’histoire du mouvement homosexuel, produits dans les décennies 80-90, sont en fait le plus souvent le fait de professeurs ou de doctorants qui sont eux-mêmes engagés dans ces mobilisations.
C’est par exemple le cas des écrits de Jacques Girard qui publie l’ouvrage « Le mouvement homosexuel en France 1945-1980 » ou de Frédéric Martel qui publie l’ouvrage « Le rose et noir : les homosexuels en France depuis 1968 ».
Les recherches qui sont consacrées aux mouvements homosexuels sont davantage développées que celles qui portent sur les mouvements lesbiens.
Ces dernières ont été confrontées à une invisibilisation encore plus forte de la part des institutions universitaires et restent encore finalement aujourd’hui assez méconnues, même si ça commence à changer un peu.
On a néanmoins quelques rares recherches dans la décennie 90 qui ont permis d’établir des premières histoires et des connaissances en ce qui concerne l’homosexualité féminine ou le lesbianisme.
Par exemple le livre de Marie Jo Bonnet « Les relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle » qui est l’un des premiers à traiter cette question historiographique de l’homosexualité féminine et des théories lesbiennes.
La période qui nous intéresse un peu plus aujourd’hui, on a aussi les recherches de Claudie Lesselier qui nous renseigne sur les prémices du mouvement lesbien en France dans les années 1930 à 1960 et sur les caractéristiques du militantisme lesbien à Paris dans la décennie 1970.
Dans les années 2000-2010, on a un certain nombre de travaux qui viennent compléter ces premières analyses qui sont produites dans les années 80-90, inscrites dans la continuité des luttes sociales.
Ces travaux récents, ils contribuent aujourd’hui à l’émergence d’un champ de recherche qui s’institutionnalise et qui est en plein développement.
On peut par exemple citer l’ouvrage « Le moment politique de l’homosexualité » de Massimo Prearo, les ouvrages de Mathias Quéré, que j’ai déjà cité « Qui sème le vent récolte la tapette » et l’ouvrage issu de sa thèse « Quand nos désirs font désordre, une histoire du mouvement homo- sexuel en France de 1974-1986 » Nous pouvons citer l’ouvrage de l’historienne Florence Tamagne intitulé « Histoire de l’homosexualité en Europe : Berlin, Londres, Paris.
» Les chapitres de l’historienne Christine Bard, « Le lesbianisme comme construction politique », « Féminisme et lesbianisme ».
La note de dictionnaire de Natacha Chetcuti, sur le lesbianisme radical.
La thèse d’Ilana Eloit, Lesbian Trouble, qui s’intéresse aux liens entre le féminisme et le lesbianisme et montre l’invisibilisation que subissent les lesbiennes au sein du Mouvement de libération des femmes.
Enfin, je me permets juste un petit instant pub.
C’est un ouvrage collectif intitulé « Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs, lutte et débat des mouvements lesbiens et homosexuels de 1970 à 1990 » co-dirigé par Ilana Eloit, Mathias Quéré et Hugo Bouvard est sorti en librairie, il y a un peu plus d’un an, avec plein de chapitres collaboratifs à l’intérieur.
Cet ouvrage contribue à combler un peu cette insuffisance sur les recherches sur l’histoire des mobi- lisations lesbiennes et homosexuelles.
L’ouvrage étudie notamment comment ont émergé ces luttes, quels débats et tensions les ont traversés, quels sont les bouleversements politiques, épistémologiques aussi, qu’elles ont entraîné non seulement à Paris mais aussi dans plein d’autres villes de France.
Enfin, petit point méthodologique qui est assez important pour notre discipline historique, comment travailler sur l’histoire des mouvements homosexuels et lesbiens ?
C’est une difficulté majeure dans l’étude de l’histoire des homosexualités en France, c’est l’accès aux archives qui sont donc indispensables pour mener un travail historique.
Contrairement à de nombreux pays anglo-saxons ou du Nord de l’Europe, il n’existe pas en France de centre d’archives institutionnalisé à l’échelle nationale qui serait consacré aux questions des homosexualités.
Il s’agit alors pour une grande partie d’entre nous, historiens et historiennes des mou- vements homosexuels et lesbiens, de procéder par tâtonnement afin d’identifier et de recenser les différents fonds d’archives qui sont dispersés à travers les groupes, les associations, dans les différentes bibliothèques, etc.
Il faut alors retrouver les traces de ces documents, des archives des groupes et des associations, les traces diverses et variées des manifestations, des affiches, ainsi que les traces des acteurices qui ont contribué à façonner ces luttes souvent négligées dans les récits historiques.
Ça peut s’avérer être un travail compliqué, des décennies après.
Je vais passer maintenant au cœur de mon développement pour la conférence, après avoir abordé un certain nombre de points préliminaires.
Je vais vous présenter ce que j’appelle l’histoire imbriquée du mouvement de libération des femmes et des mouvements lesbiens, et dans une moindre mesure du mouvement de libération homosexuelle, et les caractéristiques et enjeux particuliers du courant lesbien-féministe.
Les années 70-80 marquent l’émergence progressive d’un courant lesbien-féministe qui se manifeste d’abord au sein des franges radi- cales du Mouvement de libération des femmes (MLF), puis se positionne à la fois à l’intérieur, à l’extérieur, en dehors, en dedans, particulier vis-à-vis du MLF, au début de la décennie 80, dans un contexte d’autono- misation des groupes lesbiens.
On va passer sur le début de la décennie 70.
Dès le début, les lesbiennes étaient nombreuses à participer à l’événement du dépôt de la gerbe de fleurs pour la femme du soldat inconnu à l’Arc de Triomphe en août 1970, qui constitue donc la première action publique du Mouvement de libération des femmes, qui a été instituée comme telle par la suite.
Cette citation de l’historienne Christine Bard souligne l’implication insignificative des lesbiennes dans les mouvements fémi- nistes depuis le début de la décennie 70.
En effet, on a un certain nombre de lesbiennes ou femmes bisexuelles, qui ont pris part aux premières étapes du dévelop- pement du Mouvement de libération des femmes.
Dès les premiers numéros du Torchon Brûle, le journal du Mouvement de libération des femmes, les lesbiennes commencent à apparaître.
Sur la couverture du premier numéro du Torchon Brûle, apparaît en haut à droite l’inscription « Je suis homosexuelle », affirmation qui est révolutionnaire pour l’époque.
Dans le deuxième numéro du Torchon Brûle, on a plusieurs témoignages marquants de lesbiennes qui envoient des lettres qui sont publiées dans Le Torchon Brûle.
Je ne vais vous en lire qu’un seul extrait mais il y en a plusieurs.
« J’aime une femme, on m’a enseigné que c’était anormal, j’ai 26 ans, je pénètre dans une boîte d’homosexuels et pour la première fois de ma vie je suis enfin chez moi, une femme parmi les femmes.
Je comprends que la boîte de nuit est une cachette, au pire une prison, dehors rien n’a changé.
Ma vie, tout ce silence, silence de gosses, silence de femmes, silence d’homosexuels.
Coupée des femmes par la lesbienne que je suis, toujours marqué du saut de la différence, de l’indifférence, de la solitude, par un ennemi omniprésent, mais impalpable.
» Les lesbiennes prennent alors la parole, au tout début des années 70, sur des sujets aussi variés que les discriminations qu’elles subissent, l’isolement, la honte ressentie par certaines, la difficulté de rencontrer d’autres lesbiennes, la contrainte de cacher leur vie à leurs proches, ami·es, collègues, etc.
Mais aussi sur la joie d’aimer une autre femme, la sexualité lesbienne, et tous ces nouveaux imaginaires que cela implique.
Pourtant, cette visibilité lesbienne suscite rapidement des interrogations.
Certaines se demandent si porter des revendications spécifiquement lesbiennes ne risquerait pas de nuire à l’efficacité du Mouvement de libération des femmes et notamment aussi de faire fuir les nouvelles arrivantes.
Sébastien Chauvin fait une analyse sur ça et mentionne par exemple les féministes craignent finalement que le fait de mettre plus en avant les revendications homosexuelles ne discrédite le Mouvement de libération des femmes.
Dans les derniers numéros du journal du Torchon Brûle, on ne mentionne presque plus les lesbiennes.
Ilana Eloit analyse cette invisibilisation progressive des lesbiennes dans sa thèse qui est intitulée Lesbian Trouble.
Elle explique que les luttes féministes françaises des années 70 s’organisent autour du sujet politique Nous les femmes qui cherche à garantir une unité du mouvement, de ses revendications et à soutenir des premières théorisations féministes.
Une partie du discours du MLF sur ces années-là repose sur les expériences communes de discrimination et d’oppression vécues par les femmes.
L’heure est donc à la dénonciation des oppressions subies par les femmes, mais aussi à l’affirmation d’une nouvelle possibilité d’existence collective pour les femmes.
C’est en fait un temps de célébration entre femmes, une dynamique qui prend le nom de sororité.
et on s’aperçoit que les autres facettes de l’identité, quand bien même elles seraient étroitement liées aux luttes menées, ne sont pas prises en compte.
Toutes, toutes les femmes, doivent se reconnaître dans l’identité femme et dans la lutte féministe qui seule va ouvrir la voie à la libération de toutes les femmes.
Ainsi, on a des revendications principales qui sont formulées au sein du MLF, donc au sein des différents groupes de femmes de Paris, mais aussi de plein d’autres villes et régions.
Les luttes principales sont la lutte pour le droit à l’avortement libre et gratuit, la lutte contre les violences et les viols commis à l’encontre des femmes, les grèves du travail domestique et du travail d’éducation des enfants, et les bonnes conditions pour la maternité, toutes les luttes autour de l’ouverture de nouvelles crèches, etc.
Et on voit que les revendications, spécifiquement lesbiennes, souvent n’en font pas partie.
Pardon, je n’avais toujours pas…
Ainsi, dans ce contexte de questionnement autour de cette présence et de cette visibilité des lesbiennes au sein du MLF, les premières théorisations lesbiennes en France, elles émergent du côté du FHAR, le Front homosexuel d’action révolutionnaire.
Dans ce contexte d’effervescence militante qui est marqué par l’émergence du MLF, les militantes féministes lesbiennes ont été à l’initiative de la création du premier groupe homosexuel militant qui est donc le FHAR.
Ce groupe a existé de 1971 à la fin 1973, début 1974, principalement à Paris mais avec quelques antennes dans d’autres villes de région.
L’élément déclencheur de la création du FHAR, c’est l’action coup de poing qui est menée par un commando de lesbiennes et d’homosexuels qui sont venus perturber l’émission de radio de Ménie Grégoire qui était consacrée à — je cite —, « L’homosexualité, ce douloureux problème. » Le commando contre cette émis- sion de radio qui s’appelait Allô Ménie était essentiellement composé de lesbiennes.
On a une photographie…
qui est prise quelques minutes après l’événement, qui montre une dizaine de femmes qui célèbrent leur victoire à côté de la salle Pleyel.
L’action ce jour-là, c’est l’aboutissement de plusieurs mois de militantisme lesbien féministe.
Le 5 mars 1971, donc cinq jours avant les événements que je viens de décrire, ce même commando, composé en majorité lesbienne, avait aussi perturbé une manifestation anti- avortement de l’association Laissez-les Vivre à la mutualité dans le cinquième arrondissement de Paris.
Au départ, les lesbiennes avaient placé beaucoup d’espérance dans le FHAR, dans cette création de groupes et dans l’alliance qu’elles commençaient à mener avec les homosexuels.
Les lesbiennes et les homosexuels du FHAR se revendiquaient alors comme des parias de la société patriarcale, une société qui était donc structurée autour des rapports d’oppression entre les hommes et les femmes.
Je cite un texte, issu d’un tract du FHAR : « Les homosexuels sont la négation vivante de ces fausses valeurs.
Il apparaît qu’un homosexuel mâle n’est pas viril, qu’une lesbienne n’est pas féminine.
C’est pourquoi ils inquiètent.
» Cependant, la majorité des nouvelles recrues, de plus en plus nombreuses au sein du FHAR, étaient des hommes dont la conception et la sexualité de l’amour se révélaient très éloignés de celles des lesbiennes présentes.
Très vite, ces dernières se disent consternées par les com- portements machistes des hommes qu’elles rencontrent et la manière dont ils finissent par s’immiscer dans le fonctionnement du groupe.
Elles ont alors le sentiment d’être progressivement dépossédées du groupe qu’elles avaient elles-mêmes créé.
Rapidement, elles finissent par organiser des réunions réservées aux lesbiennes aux Beaux-Arts et abandonnent les assemblées générales du FHAR.
Ces réunions aux Beaux-Arts sont à la création du premier groupe lesbien en 1972 qui est donc intitulé les Gouines Rouges.
Un tract des Gouines Rouges mentionne leurs revendications et surtout leur positionnement par rapport au féminisme.
« Comment nous, au mouvement, on se représente les femmes : les avortées, les avorteuses, les travailleuses, les mères de famille, les ménagères, les épouses, les nanas, toujours implicitement des femmes qui ont des relations sexuelles avec les hommes.
Quand au mouvement, on parle d’elles, on dit « nous » les femmes.
Et quand on parle des homosexuelles, on dit « elles ».
Nous, les lesbiennes, nous disons nous avec les avortées, les travailleuses, les mères de famille, etc.
Nous ne sommes pas les autres.
Être homosexuelle, c’est une révolte concrète contre les rapports hommes/femmes actuels, ces mêmes rapports que le mouve- ment entier refuse maintenant […].
Être homosexuelles, c’est la possibilité de créer de nouveaux rapports sociaux différents de la norme […].
Il n’y a pas une oppression générale (celle des hétérosexuelles), un lot commun de femmes et d’autre part une oppression particulière, un problème personnel, celui des homosexuelles.
Reprenons pas à notre compte les catégories qui divisent et qui sont celles de la sexualité masculine. » Un autre article qui a intitulé quelques réflexions sur le lesbianisme comme position révolutionnaire écrit par une militante des Gouines Rouges nous renseigne sur certaines revendications et positions théoriques du groupe lesbien.
Il mentionne que l’homosexualité et le lesbianisme sont des positions politiques révolutionnaires dans le sens où elle nie trois mythes fondateurs fortement liés au patriarcat, que le plaisir sexuel est lié à la reproduction, que les rôles sexués figés sont naturels et que, seuls les rapports amoureux possibles sont ceux hétérosexuels, monogamiques, tournés vers la famille.
Je vous lis l’extrait de cet article.
L’homosexualité féminine nie en plus certains rapports sociaux et idéologiques constitutifs au patriarcat.
Lesbiennes, nous ne nous définissons pas en fonction des hommes mais en fonction des autres femmes.
Le « nous » créé dans l’amour fait partie de notre conscience collective de femmes, n’étant pas comme le « nous » hétéro, en contradiction avec notre devenir.
Refusant le mariage et recherchant les rapports privilégiés entre femmes, nous nions l’isolement et la rivalité des femmes hétérosexuelles.
Passons maintenant aux franges radicales du MLF, à partir de 1974.
Les lesbiennes ont donc toujours été nombreuses au sein du MLF.
Même lorsqu’une partie d’entre elles initie le FHAR puis les Gouines Rouges, elles restent quand même militées dans les groupes femmes au sein du MLF.
Lorsque le groupe des Gouines Rouges s’essouffle, faute de dynamisme ou faute de militantes suffisamment nombreuses, les lesbiennes retournent militer de manière active et prioritaire au sein des diverses tendances du MLF.
Le MLF, à cette période-là, est divisé en trois grandes tendances.
On a psychanalyse et politique, lutte de classe et féministe révolutionnaire.
C’est surtout au sein de ces deux dernières tendances que naissent progressivement des initiatives lesbiennes significatives.
Certaines parviennent à se concrétiser tandis que d’autres échouent avant même d’avoir pris fin.
La visibilité du lesbianisme pose toujours de nombreux conflits dans les MLF pendant la période des années 1974-76.
Cette visibilité est perçue comme une source de possible division au sein du MLF et comme un risque d’effacement de ses revendications principales.
On a même un peu des préjugés lesbophobes qui viennent alimenter toute cette dynamique.
Mais quelques militantes lesbiennes féministes tentent néanmoins de faire émerger des initiatives lesbiennes féministes malgré toutes ces conflictualités.
L’histoire…
L’histoire du Front international lesbien est à cet égard éclairante.
Cette initiative qui est lancée en 1974, sous l’impulsion de Monique Wittig et d’autres lesbiennes, avait pour objectif de donner de la visibilité au lesbianisme et aux lesbiennes au sein des luttes féministes.
Le projet voit le jour lors de la conférence féministe internationale de Francfort en novembre 1974.
Le Front lesbien accueille rapidement une tren- taine de représentantes de 11 pays différents.
Cependant, son accueil en France n’est vraiment pas le même, c’est très mitigé.
Les groupes féministes du MLF dénoncent cette initiative et même parmi les militantes des féministes révolutionnaires, dont une partie sont lesbiennes ou bisexuelles, nombreuses sont celles qui refusent de s’engager dans le projet.
Les arguments qui sont avancés sont que la création de groupes lesbiennes, même lesbiens-féministes, risquerait de diviser le MLF sans véritablement réussir à mettre en lumière l’oppression spécifique que subissent les lesbiennes.
Au sein des féministes révolutionnaires, on a un clivage important qui se dessine entre les quelques unes qui soutiennent cette initiative et celles qui s’y opposent.
Ilana Eloit parle de cet événement comme, je cite, d’une histoire manquée du lesbianisme politique à cette période en France.
Mais l’échec de l’initiative du Front Lesbien International ne marque pas pour autant la fin de toute revendication lesbienne au sein du MLF.
Une partie des féministes, donc issues de la tendance des féministes révolutionnaires, sont lesbiennes ou sont devenues lesbiennes au cours de leur parcours militant.
C’est le cas par exemple de Monique Wittig, de Christine Delphy, de Gille Witting, de Dominique Samson, de Marie-Jo Bonnet, etc.
Ainsi, le militantisme lesbien perdure grâce à leurs actions, bien que cette visibilité lesbienne puisse parfois être source de conflits au sein des groupes féministes, tant avec les féministes hétérosexuelles qu’avec des militantes lesbiennes qui veulent se définir comme avant tout féministes et qui estiment que leur homosexualité relève de leur vie privée.
Ces militantes féministes lesbiennes qui veulent visibiliser le lesbianisme participent à l’organisation de divers espaces plus ou moins temporaires tels que des maisons de femmes, des lieux de colocation, des espaces de vacances qui rassemblent donc des militantes féministes, des militantes lesbiennes, lesbiennes féministes.
Plusieurs de ces maisons deviennent finalement des lieux d’expression du lesbianisme au sein d’une communauté restreinte, au sein d’un espace restreint comme c’est le cas, par exemple, de la maison de vacances de Monique Wittig sur Paris, qui accueille les lesbiennes féministes révolutionnaires pendant un certain temps.
Ainsi, entre 1974 et 1977, les féministes révolutionnaires commencent à théoriser des bases du lesbianisme politique.
Dans un tract emblématique, elles énoncent, par exemple, ce qui deviendra un slogan, « Quand les femmes s’aiment, les hommes ne récoltent pas.
» Ou aussi une autre citation : « Choisissez bien votre route à la croisée des chemins, devenez lesbienne, vous irez plus loin.
» À partir de 1975-1976, on a des commissions lesbiennes féministes qui sont créées au sein des deux tendances du MLF, donc la tendance lutte de classe et la tendance féministe révolutionnaire.
Un certain nombre de militantes du groupe des Pétroleuses, issu de la tendance lutte de classe, sont homosexuelles, et puis l’affichent ouvertement.
Confiantes, elles fondent une commission homosexuelle, qui s’intitule ainsi, au sein du groupe des Pétroleuses.
Mais très vite, on leur rétorque que l’objet de l’association n’est pas de créer des commissions spécifiques à certains groupes de femmes, mais de traiter de thématiques communes et qui seraient ouvertes à tous.
La réponse des Pétroleuses homosexuelles articule plusieurs points théoriques.
Elles expliquent d’abord que l’hétérosexualité est peut-être une construction sociale, une attitude qu’on nous apprend socialement et je cite que le caractère majoritaire de l’hétérosexualité n’a peut-être pas d’autre signification.
Je cite encore un de leurs textes « Chacune aura pris conscience que l’oppression aux formes multiples, de l’agressivité au sourire indulgent, de l’homosexualité, relève d’une profonde misogynie ».
Cf, la panoplie des termes féminins pour désigner l’homosexualité masculine.
C’est à travers l’articulation des théories féministes et aussi des revendications pour une homosexualité libre que les Pétroleuses homosexuelles commencent à dénoncer l’hétéronormativité présente non seulement au sein de leur groupe, des Pétroleuses, mais aussi dans tout le MLF, de manière générale.
Je vous ai mis deux extraits de tracts des Pétroleuses datés de 1976.
« Dites, pourquoi même vous, femme, craignez tant d’être étiquetée sous ce nom ?
Dites pourquoi même vous, vous réa- gissez comme des mâles, riant, plaisant, comme si les lesbiennes devaient sauter sur toutes les femmes qui passent à leur portée ?
» « Dire tu es homo d’accord ; mais viens plutôt nous aider à résoudre nos problèmes de crèche et rien ne t’empêche de militer au MLAC.
Cela signifie en clair que pour être lesbiennes on n’en est pas moins femme.
Autrement dit qu’une femme est naturellement vouée à l’hétérosexualité.
Implicitement à votre insu, vous faites de la conduite morale, celle de la moyenne des individus, une conduite normative ».
Face au conflit et à l’invisibilisation répétée que certaines lesbiennes du MLF finissent par ne plus supporter, un groupe lesbien émerge en 1976 au sein de la tendance des féministes révolutionnaires à Paris.
Ce groupe se constitue sous le nom de Groupe des Lesbiennes Féministes.
Il se revendique un ghetto des lesbiennes féministes.
Je vous ai mis un extrait…
Le GLF, donc le Groupe des Lesbiennes Féministes se veut être un regroupement de lesbiennes féministes, ce qui est à la fois une redondance, parce que le lesbianisme porte en soi l’essence même du féminisme, de ce qu’il devait être, et non pas seulement du réformisme, un aménagement de la société, mais toute une force révolutionnaire qui remettrait en question les corps individualistes sociaux.
Le lesbianisme est un terme qui nous est propre à nous les femmes, pour nous c’est surtout un mode de vie, une façon d’aimer, une lutte qui dépasse le fait de vivre avec une femme.
Une recherche, une approche de quelque chose que nous sentons vivre en nous et entre nous, et l’espoir de faire éclater ce quelque chose, de le faire rayonner.
Nous préférons utiliser les termes lesbiennes et lesbianisme.
Nous sommes féministes parce que femmes.
Nous luttons aux côtés des autres femmes pour l’abolition du système phallocratique.
Mais nous ne sommes pas directement concernés par certains problèmes.
Nous n’avons donc pas de position par rapport au Mouvement des femmes.
Nous sommes toutes le mouvement des femmes ».
L’objectif du groupe des lesbiennes féministes est de mettre en place un espace pour réparer les lesbiennes au sein du mouvement féministe, revendiquant leur amour pour les femmes et mesurant l’aspect révolutionnaire du lesbianisme.
C’est l’un des premiers groupes lesbiens féministes qui se créent dans la capitale.
La remise en question de la sexualité, majoritairement hétérosexuelle, se voulait pour ce groupe une remise en question de la société en ce qu’elle a de plus fondamental, la famille traditionnelle, la reproduction, l’économie, etc.
J’en arrive maintenant à l’auto- nomisation des mouvements lesbiens à partir de l’année 1978.
L’année 1978 marque une rupture importante avec la création de plusieurs groupes lesbiens autonomes, tant à Paris que dans diverses villes de région, comme on vous parlera pour Rennes après avec Françoise.
Dans la capitale, le Groupe des Lesbiennes de Paris, le GLP, voit le jour aux alentours de novembre 1977.
Je vous ai mis une citation d’un tract.
« Lors d’un stage des groupes femmes le 11 novembre 1977 à Orsay, les lesbiennes participant à une commission sexualité ont décidé d’en faire une « homosexualité ».
De là est né le groupe dont la composition a largement dépassé les quelques filles présentes à Orsay.
La plupart d’entre nous ne sont pas dans des groupes femmes, d’autres qui y étaient les ont quittés car ils n’étaient pas possible pour elles de parler de leur vécu de lesbiennes.
Quelques semaines après cette rencontre à Orsay, les lesbiennes de la commission Homosexualité et d’autres militantes lesbiennes décident de se rejoindre pour fonder un groupe de lesbiennes.
Suzette Robichon qui est l’une des co- fondatrices du groupe témoigne.
« On a décidé d’organiser une réunion un soir dans un bar pour parler de la création d’un groupe de lesbiennes.
On s’est retrouvées à une cinquantaine de filles, c’était incroyable.
On a discuté de beaucoup de choses, de tout, de rien, petit ou grand groupe.
On était ravies de se voir, de se rencontrer, aussi nombreuses surtout.
Le Groupe des Lesbiennes de Paris se réunit une fois par semaine environ, l’un des objectifs du groupe est, je cite un texte d’archive, « de créer un lieu de vie lesbienne, un espace où il est possible de se rassembler, de cesser de culpabiliser ou de dissimuler sa différence.
Il vise aussi à permettre aux participantes de connaître d’autres lesbiennes, d’autres femmes qui, comme elles, cachent à leur entourage depuis des années, parfois des dizaines d’années, ce qu’elles vivent profondément.
Et c’est l’essentiel, c’est ce qui fait qu’une lutte collective est possible.
Le Groupe des Lesbiennes de Paris reprend à son compte les pratiques des groupes de paroles féministes, c’est-à-dire que parler du vécu lesbien devient l’un des fondements du groupe.
À quelques mois d’intervalle, un autre groupe lesbien voit le jour dans la capitale, à l’initiative d’une dizaine de militantes de Saint-Denis, qui se réunissaient chez les unes, chez les autres, donc de manière assez informelle.
C’est le Groupe Lesbiennes Banlieue Nord, qui adopte lui aussi le fonctionnement des groupes femmes et organise des ateliers de groupes de parole et de groupes de conscience.
Dans ces ateliers, les discussions autour des expériences du vécu lesbien sont particulièrement mises en valeur, ainsi que le vécu des violences faites aux femmes et aussi de l’isolement.
Nicole Genou, qui fait partie de ce groupe, me mentionne en entretien : [lit le texte affiché à l’écran] Toujours en 1978, à la fin de l’année, on a un autre groupe de lesbiennes, portant cette fois-ci un discours politique autour de l’opposition classe d’hommes, classe de femmes, qui voit le jour.
Ce groupe, d’abord relativement informel comme tous les débuts des autres groupes, fonctionne donc par copinage puis se structure autour de réunions hebdomataires à la faculté de Jussieu dès l’année 1979.
La création de ce groupe témoigne de la volonté de certaines lesbiennes dans un contexte de tension au sein du MLF à Paris, de se rassembler et d’agir face aux féministes hétérosexuelles qui considéraient le lesbianisme politique comme un risque de division supplémentaire pour le MLF.
En effet, le MLF était déjà pris dans l’année 1979 dans des débats internes, notamment en raison de la scission qui était provoquée par le groupe psychanalyse et politique qui avait déposé le sigle MLF comme marque à leur propre organisation.
Ça a rajouté des arguments de division par rapport aux lesbiennes.
La création de ce groupe des lesbiennes de Jussieu marque le début d’un autre courant qui est celui du lesbianisme radical.
Mais ce n’est pas du tout au cœur du propos de la conférence aujourd’hui, donc je ne vais pas insister dessus.
En région aussi, des premiers groupes lesbiens apparaissent dans les années 78-79.
C’est le cas à Rennes, à Brest, à Angers, à Tours, à Caen, à Strasbourg, à Lyon, à Lille, à Marseille, à Valence, à Bordeaux, etc.
En novembre 1978, on a une coordination lesbienne de l’Ouest qui voit le jour, avec pour objectif de mettre en lumière les problèmes rencontrés par les groupes lesbiens des villes de région et de créer un réseau commun afin de renforcer leur visibilité et d’organiser des événements en commun.
L’objectif était aussi de dynamiser un peu les réseaux lesbiens en région et d’éviter d’être invisibilisées par la capitale.
Une première rencontre de cette coordination lesbienne de l’Ouest a lieu les 8 et 9 décembre 1978 et d’autres rencontres eurent lieu par la suite.
Ces groupes lesbiens émergents revendiquent une visibilité accrue pour les lesbiennes et font de l’identité lesbienne une identité politique de lutte.
Cette affirmation progressive de l’identité lesbienne tout au long de cette deuxième moitié de la décennie 70 se concrétisent par l’appropriation et la revendication du terme lesbienne plutôt que celui d’homosexuel qui prévalait alors dans certains groupes comme c’était par exemple le cas dans la commission homosexuelle des Pétroleuses.
Les premiers groupes lesbiens émergeant dans la capitale sont particulièrement critiques de la visibilité qui était offerte par le MLF aux lesbiennes et aux revendications lesbiennes.
La création du Groupe des Lesbiennes de Paris et en ce point éclairant comme je vous l’ai déjà un peu mentionné le Groupe des Lesbiennes de Paris garde les traces d’un conflit qui survient avec la commission sexualité lors du stage de réflexion des groupes femmes de la région parisienne en novembre 77.
Ce conflit fonde le Groupe des Lesbiennes de Paris.
Lors du stage de réflexion d’Orsay, plusieurs commissions thématiques sont organisées le matin, dont une sur la sexualité.
Je vous ai mis un extrait d’un article.
[lit le texte affiché à l’écran] Cependant, dès l’après-midi, une quinzaine de militantes lesbiennes décident de quitter la commission sexualité pour obtenir un espace, je cite : un lieu, un temps de réflexion exclusivement homosexuel, faute de pouvoir discuter de ces théma- tiques-là dans la commission de sexualité.
Les débats autour de cette demande de créer une commission homosexuelle s’enveniment rapidement et le conflit éclate, les unes et les autres restant campées sur leur position.
J’ai mis un autre extrait d’un article d’une des militantes du Groupe des Lesbiennes de Paris dans la revue Quand les femmes s’aiment : [lit le texte affiché à l’écran] Néanmoins, le Groupe des Lesbiennes de Paris reste fortement attaché à l’identité féministe et aux revendications qui sont portées par le Mouvement de libération des femmes, notamment l’affirmation de ce militantisme lesbien féministe se manifeste par la présence d’un petit cortège lesbien, dans le cortège féministe de la manifestation du 1er mai 1978.
Les militantes du Groupe des Lesbiennes de Paris portent alors une banderole justement sur laquelle figure l’inscription lesbienne féministe.
Le Groupe des Lesbiennes de Paris s’inspire aussi des groupes de parole féministes.
Il propose souvent, je cite, des réunions autour de nos vécues lesbiennes.
et souligne l’importance de la prise de parole autour des vécus spécifiquement lesbiens de discrimination et d’isolement.
Le Groupe des Lesbiennes Banlieue Nord, s’inscrit lui aussi dans les réseaux du MLF.
et adhère à une grande partie de ses revendica- tions même s’il reste particulièrement critique de certains aspects du MLF.
Ce dernier mentionne dans un tract d’appel à la manifestation du 8 mars 1980 : « Si nous sommes partie prenante des luttes des femmes pour leur libération et conscientes de l’importance de cette journée, nous souhaiterions que se manifeste plus clairement la solidarité des femmes à l’égard des lesbiennes dont le vécu est trop souvent oublié tant dans les groupes femmes que dans la presse féministe ».
Aux côtés d’autres groupes lesbiens et lesbiens féministes, les militantes du Groupe des Lesbiennes Banlieue Nord décident elles aussi d’investir la mani- festation féministe du 8 mars 1980, en organisant un cortège lesbien autonome au sein de la manifestation féministe.
Finalement, pour citer Ilana Eloit, les théories et les pratiques du courant du lesbianisme féministe qui émanent de ces deux groupes visent, je cite, à favoriser une autonomie politique au sein du mouvement féministe afin de porter des revendications spécifiques lesbiennes.
Ces dernières deviennent aussi un outil pour construire une subjectivité spécifique ou, pour rependre le titre d’un manifeste pour la création d’un village de lesbiennes féministes, l’entre-soi offre un terrain pour camper notre identité.
Ces pratiques lesbiennes féministes sont transmises par des militantes lesbiennes qui ont milité au sein des groupes femmes pendant de nombreuses années parfois.
Suzette Robichon m’explique lors de son entretien qu’un certain nombre des lesbiennes présentes au sein du Groupe des Lesbiennes de Paris sont passées par les groupes femmes, ont parfois déjà beaucoup milité au sein du MLF, mais cherchent maintenant des espaces dans lesquels elles peuvent vraiment se retrouver.
Ce témoignage est corroboré aussi par l’article de Nelly, qui est militante au Groupe Lesbiennes de Paris, qui dans la revue Quand les femmes s’aiment, évoque bien des années de militantisme catho sur l’avortement-contraception dans le MLAC pour elle-même et 15 copines lesbiennes du Groupe des Lesbiennes de Paris qui sont engagées par ailleurs dans des groupes femmes.
On a des trajectoires militantes similaires observées au sein du Groupe des Lesbiennes Banlieue Nord, Michèle Larrouy, Nicole Genou, sont toutes deux militantes un temps dans ce groupe et aussi à l’intérieur d’un groupe femmes à Saint-Denis.
On a un certain nombre de groupes lesbiennes précédemment cités qui s’inscrivent dans une perspective critique vis-à-vis des mobilisations féministes des années 70 et de certaines des militantes féministes hétérosexuelles.
Cette critique s’exprime toutefois selon des modalités et des intensités variables en fonction des groupes lesbiens.
En fait, les groupes lesbiens féministes, ou en tout cas ceux qui peuvent s’en rapprocher, formulent généralement des positions qui sont moins virulentes que les groupes qui relèvent de la tendance lesbienne radicale qui émerge aussi à la fin de la décennie 70 et au début de la décennie 80.
Ils ont en fait dans ce sens un positionnement un peu particulier par rapport à l’autonomisation revendiquée avec les groupes femmes.
Ils instaurent des relations d’autonomisation et de critique, mais aussi des stratégies d’alliance et de rapprochement vis-à-vis des groupes femmes.
Les objectifs du courant lesbiennes féministes.
Les lesbiennes féministes sont particulièrement engagées dans la lutte pour la visibilité lesbienne.
Leur militantisme se construit autour de la dénonciation de l’invisibilisation des lesbiennes et des oppressions spécifiques qu’elles subissent.
Elles mènent notamment des réflexions relatives aux discriminations subies par les lesbiennes, je cite, en tant que femme et en tant qu’homosexuelle.
Elles instaurent l’idée d’une double discrimination subie par les lesbiennes.
Les lesbiennes féministes revendiquent l’identité lesbienne comme une véritable identité de lutte politique.
Cette identité militante s’affirme et se développe dans des espaces spécifiques, en dehors du MLF, mais tout en restant donc étroitement liée aux revendications féministes.
Progressivement, l’étiquette lesbienne féministe devient centrale.
On ne se définit plus seulement comme féministe, mais d’abord et avant tout comme lesbienne féministe.
Ce retournement sémantique s’accompagne d’une volonté de créer des espaces propices au développement de la convivialité lesbienne, des réseaux lesbiens, des théories lesbiennes féministes.
Donc la création de ces espaces, spécifiquement lesbiens, souvent qualifiés de ghetto par exemple, de ghetto lesbien, viennent bousculer les normes hétéro-patriarcales en rendant visibles des lieux de convivialité, d’expérimentation amoureuse, de réflexion politique, sexuelle, etc., entièrement affranchis de la présence et de l’influence des hommes.
Certaines militantes lesbiennes féministes semblent alors vouloir apparaître un peu comme une avant-garde des luttes féministes.
Je vous mets une citation : « Le lesbianisme porte en soi l’essence même du féminisme, de ce qu’il devait être, et non pas seulement du réformisme d’un aménagement de la société.
» Peut-on lire dans un tract du Groupe des Lesbiennes Féministes de Paris.
Enfin, pour diffuser ces nouvelles théories et réflexions lesbiennes féministes, des premiers fanzines militants voient le jour.
En 1976, on a le Groupe des Lesbiennes féministes de Paris qui publie « Paroles de lesbiennes féministes ».
Puis en 1978, c’est au tour des groupes de lesbiennes du Centre des femmes de Lyon et du GLP de faire paraître la revue « Quand les femmes s’aiment », dont je vous ai lu certains extraits.
Les lesbiennes féministes usent aussi de stratégies d’alliance avec le MLF mais dans l’objectif de diffuser leurs idées et leurs théories.
Le GLP participe à l’inter-organisation par exemple de la manifestation du 8 mars 1980 avec d’autres groupes lesbiens et d’autres groupes femmes.
Le Miel, le Mouvement d’information et d’expression des lesbiennes, qui est créé en 1981 à Paris, s’installe dans les locaux de la Nouvelle Maison des Femmes, dans le 11e arrondissement, avec plein d’autres groupes femmes et lesbiennes.
Cette association lesbienne féministe, le Miel, a pour objectif de promouvoir la visibilité des lesbiennes, de leurs revendications, de toutes les formes d’expression du lesbianisme.
Sa domiciliation dans les locaux de la Maison des femmes, dès sa création, vise vraiment à la démarquer du courant du lesbianisme radical.
Le Miel s’investit activement dans le comité de gestion de la Maison des femmes.
Certaines de ses militantes participent au lancement du bulletin d’information de la Maison des femmes, Paris féministe.
Le Miel co-organise aussi avec d’autres collectifs de la Maison des femmes des manifestations féministes du 8 mars en 1982-83, etc.
Mais le Miel organise également de nombreux événements qui sont identifiés comme lesbiens ou lesbiens féministes au sein de la Maison des femmes.
Par exemple, en 1985, il organise un forum lesbien national qui réunit une vingtaine de groupes lesbiennes de régions.
On s’y interroge notamment, c’était le premier tract que je vous citais en introduction.
Pourquoi un militantisme spécifiquement lesbien ?
Dans les luttes féministes, les problèmes propres aux lesbiennes n’étaient pas pris en compte.
Même si on ne peut pas séparer la lutte des fem- mes et celle des lesbiennes, il faut un front propre.
Ainsi, la mise en pratique du lesbianisme féministe induit souvent un investissement double dans le MLF ou dans les luttes féministes, et dans les mouvements lesbiens autonomes afin de participer justement à construire ces deux mouvements à la fois imbriqués et autonomes.
Je vais m’arrêter ici et Françoise va faire le focus de cette histoire mais d’une manière différente sur Rennes.
[Applaudissements] Mon propos va être différent.
D’abord, je ne suis pas doctorante.
Et ensuite, je suis là pour vous raconter, à partir de témoignages vivants, on va dire, et d’archives, une partie de l’histoire des mouvements lesbiens et féministes rennais.
Ce propos s’appuie sur le témoignage recueilli.
Pour commencer, voilà le témoignage de Sylvie.
Sylvie, âgée de 20 ans en 1977, membre du Groupe de Libération Homosexuelle rennais, le GLH.
Elle dit : « À l’époque, on vivait cachés, c’était seulement ensemble, dans la communauté qu’on était nous-mêmes.
» Ce témoignage illustre, comme l’a déjà dit Camille, ce que vivaient les lesbiennes dans les années 70, dans une société ouvertement homophobe, où les lesbiennes n’étaient même pas nommées, elles n’existaient pas.
Très peu de femmes vivaient alors leurs amours lesbiennes publiquement en France et encore moins en Bretagne, territoire marqué par une tradition catholique et conservatrice.
En cette fin des années 70, comme l’a montré Camille, il devient possible de se dire féministe, ce mouvement prenant de l’ampleur dans la sphère publique.
À Rennes, l’arrivée d’une équipe muni- cipale socialiste en 1977 donne de l’air, mais nous sommes encore loin de l’anonymat et de la permissivité parisienne.
Les jeunes femmes lesbiennes âgées de 20 à 30 ans sont issues pour la grande majorité de communes rurales périphériques de Rennes ou bien viennent de Bretagne.
Elles sont salariées, souvent précaires ou étudiantes.
Leur venue à Rennes signe la permission d’échapper au regard parental.
La vie de la jeunesse rennaise est à ce moment-là très politisée, marquée par l’extrême gauche, avec des mouvements de grève, des mobilisations internationalistes, l’émergence de groupes femmes, d’organisations politiques et d’associations.
Les jeunes lesbiennes qui arrivent au GLH arrivent par l’intermédiaire de copains gays et cherchent, comme le raconte Chris, à partager le quotidien des lesbiennes.
C’est ainsi que lors de la semaine homo- sexuelle organisée par le GLH en 1978 à la Maison des Jeunes et de la Culture de la Paillette, les lesbiennes tiennent une table dans le hall pour que, nous raconte Kate, les femmes puissent enfin se retrouver.
Cette initiative aboutira un peu plus tard à la création du groupe de lesbiennes au sein du GLH.
Ce groupe de lesbiennes, ou GL, sort du GLH et devient autonome en avril 1979, en lien avec des tensions lors de la préparation de l’autre festival sur les choix des films notamment.
Ainsi, dans le journal du GLH, Roneo et Juliette, daté de juin 1979, il est noté que le rapport de force et la prise de parole des mecs font obstacle à l’expression des filles.
Le GLH se présente ainsi, en 1982, dans le bulletin municipal rennais.
Se donner les possibilités de vivre sa propre sexualité, même si elle sort des schémas traditionnels.
Voici maintenant quatre ans qu’un groupe de lesbiennes existe à Rennes.
Il se définit plutôt comme un réseau de contacts, composé d’une trentaine de femmes, dont certaines se relaient pour assurer chaque mercredi de 19h à 20h, une permanence au 9 rue de la Paillette.
Cette permanence a pour but d’accueillir toutes lesbiennes, d’essayer de communiquer avec d’autres lesbiennes.
À la même période, de nombreuses femmes hétérosexuelles, féministes, lesbiennes se rencontrent en cette fin des années 1970 lors des stages de wendo.
Le Wendo est une pratique d’autodéfense féministe.
Il s’agit de comprendre ce qu’il se joue lors d’une agression, comment y faire face physiquement et psychologiquement, comment aiguiser sa vigilance, comment reconnaître aussi et exercer sa propre puissance en parlant de ce qu’on ressent, en partageant son vécu lors de temps entre femmes.
Le réseau de wendo est structuré par des temps de stages animés par des instructrices venant d’ailleurs et notamment d’Europe.
Les stages sont des temps de prise de conscience de l’oppression patriarcale.
Martine, par exemple, raconte que c’est le wendo qui lui a permis de sortir de la contrainte hétérosexuelle, de quitter son compagnon et de vivre son désir lesbien.
Parallèlement, se construit peu à peu une force lesbienne.
Le GL, Groupe Lesbien, se structure en avril 1982 et devient l’association Femmes Entre Elles, ou FEE, qui s’inscrit dans la même dynamique, avec comme objectif de promouvoir l’identité lesbienne, et des propositions de diverses activités collectives, sportives, culturelles ou ludiques.
Nombreuses sont les lesbiennes du GL, puis de fait, à participer aux stages de wendo, et plusieurs constatent leur désaccord avec des propos d’instructrices trop radicales, trop extrémistes à leurs yeux.
En guerre contre les mecs, alors que les lesbiennes ont des amis gays.
Elles ne sont pas séparatistes, elles veulent juste pouvoir vivre librement, sans discriminations.
Il se construit juste après la création de FEE, un an après, une autre force.
En effet, une partie des instructrices et des femmes qui font du wendo décident de créer une association ouverte à toutes les femmes, au profil féministe, la Cité d’Elles.
Même si une partie des membres de la Cité d’Elles est lesbienne, l’association se définit comme féministe, là où femmes entre elles revendiquent un espace par et pour les lesbiennes.
Promouvoir l’identité lesbienne, c’est ce que font les militantes de FEE, qui animent en 1984 l’émission Canal Gay sur la radio libre, Radio Savane, chaque jeudi.
Françoise, Servan et d’autres font des micro-trottoirs, transmettent des références culturelles et artistiques, relaient des informations et mobilisations, cherchent à véhiculer du contenu lesbien, donnent des références d’autrices ou de chanteuses et donnent la parole aux lesbiennes ou aux femmes qui s’interrogent sur leur identité.
Le positionnement de FEE est bien de dénoncer la contrainte à l’hétérosexualité, d’affirmer une culture et une identité hors de la norme et de l’imaginaire dictatorial de l’identité hétérosexuelle.
De nombreuses lesbiennes rencontrées ont expliqué qu’adolescentes, elles ne compre- naient pas ce qu’elles ressentaient, faute de mots pour le dire et d’imaginaire pour le vivre.
Chris, par exemple, nous dit : Avant, je ne comprenais pas ce que je vivais.
C’est seulement quand on était ensemble que cela devenait réalité.
Réalité, c’est-à-dire sortir du silence, de la honte, de la peur dans laquelle la société enferme les lesbiennes, mais aussi et surtout rencontrer d’autres lesbiennes, partager des vécus et des questions, ne plus se cacher, trouver des espaces de respiration, de réflexion, de possibilité d’action commune.
Sylvie dit, on voyait passer des trucs pas terribles à Rennes, les fachos, tout ça, on en parlait et on allait au manif.
À certains moments, le mouvement rennais à deux têtes, Femmes Entre Elles et la Cité d’Elles s’unissent pour mener des actions, par exemple contre les pubs sexistes en 1985.
Des tensions existent, qui reprennent un peu ce que Camille a expliqué.
On en trouve trace dans les cahiers de réunion et dans les propos de certaines femmes interviewées.
Des femmes de Femmes Entre Elles, considérant que celles de la Cité d’Elles sont des lesbiennes planquées derrière la cause féministe, pendant que des femmes de la Cité d’Elles vivent comme les lesbiennes de FEE, comme des lesbiennes de subculture, ayant un engagement féministe insuffisant et n’étant intéressées que par les activités de convivialité entre elles.
Ces propos reprennent ce qui a pu exister parfois comme tension entre féministes et lesbiennes à Rennes, comme le raconte Carole.
Elle raconte, quand on a voulu aller vers le groupe femmes, elles nous ont dit : « les lesbiennes ne sont pas des femmes, donc vous ne pouvez pas venir. » Si des tensions ont pu exister, les traces montrent que c’est plus complexe.
En effet, les deux associations rennaises ont en commun un projet de lutte pour l’émancipation des femmes, un répertoire d’activités collectives, créatives, ludiques et sportives qui réunit les adhérentes.
Les interviews et les archives montrent, dans ce qui a été récolté, que l’association FEE regroupe des jeunes lesbiennes voulant vivre leur désir de manière épanouie et libre, en soutien des causes féministes comme le droit à l’IVG, mais dont le sujet politique est d’abord le lesbianisme.
La Cité d’Elles rassemble des femmes en rupture avec le modèle patriarcal, revendiquant autonomie et égalité des droits, le sujet politique étant le féminisme, même s’il est constaté qu’une ambiance relationnelle amoureuse, on pourrait dire homo-érotique, peut exister entre certaines adhérentes.
Les lesbiennes de Femmes Entre Elles et de la CDE fréquentent les lieux de vacances tenus par les femmes dans le Gers notamment et se transmettent des éléments de leur culture.
La participation de Femmes Entre Elles aux universités d’été homosexuelles à Marseille dès 1983, aux rencontres régionales et nationales lesbiennes, donne à cette association une envergure notable.
Par exemple, Camille en a parlé rapidement, FEE s’investit dans la création en 1985 du réseau Minitel des “Goudous Télématiques.” Les militantes de FEE prennent une part active à la construction et à l’animation de ce réseau national de rencontres et d’informations lesbiennes.
D’ailleurs, l’association FEE est un temps le siège national de ce réseau.
L’histoire s’avance et on va déborder un peu des années 70-80.
La Cité d’Elles se dissout en 1990 et une partie des adhérentes fondent, en 1991, l’association A Tire d’Elles s’inscrit dans son sillage, avec cependant un changement de dynamique puisqu’une nouvelle génération de féministes arrive.
Au même moment, Femmes Entre Elles voit aussi un renouvellement des adhésions, avec une nouvelle équipe de lesbiennes moins marquée par l’homophobie et la lesbophobie que l’époque précédente, et plus tournée également vers la cause féministe.
On peut dire que petit à petit, FEE devient l’association structurante de la cause féministe dans l’espace rennais.
Les militantes font le travail de lien avec les associations institutionnelles comme le CIDF et le Planning Familial, FEE gagne en reconnaissance et en légitimité, participent aux événements du 8 mars, participent en tant que personnes morales à des conseils d’administration et portent la cause lesbienne à l’intérieur de la cause féministe.
Ainsi Mireille, présidente à ce moment-là de l’association, raconte la gêne des participantes à certaines réunions officielles quand elle se présente comme présidente de l’association lesbienne Femmes Entre Elles.
Le terme lesbien continue à mettre mal à l’aise.
En 1993, Femmes Entre Elles initie une rencontre avec les associations de gays pour créer à Rennes une Lesbian and Gay Pride alors qu’en France n’existe que des Gay Pride.
Le terme lesbien n’est pas mentionné.
avec certaines associations du territoire comme David et Jonathan, ou bien les Gays Randonneurs en Ille-et-Vilaine, fait construire un projet de trois jours de visibilité lesbienne et gay dans la ville en 1994.
En 1994 a lieu une marche dans le centre-ville avec des conférences, des projections, des informations sur la déportation homosexuelle.
Le mot d’ordre est de faire reconnaître l’exis- tence des lesbiennes et des gays dans la ville.
La revendication est de pouvoir sortir du placard et exister.
La proposition est de défiler avec masque pour les personnes craignant des réactions dans leur entourage ou sur leur lieu de travail.
Un ami instituteur, par exemple, me racontera qu’il est resté sur le trottoir de peur que des parents d’élèves le reconnaissent.
Et Sylvie, elle, dit : je ne pouvais pas prendre le risque de voir ma tronche sur France 3.
Une centaine de personnes défilent dans l’espace public et la joie est immense.
Cette première LGP à l’initiative de FEE, sera ensuite la norme nationale.
LGP prendra ensuite l’appellation Marche des Fiertés pour n’exclure personne.
Pour finir ce rapide tour d’horizon des forces lesbiennes féministes rennaises, il est intéressant de constater leur évolution.
Si A Tire d’Elles décline peu à peu, FEE continue à se mobiliser, par exemple en 1996 pour le 8 mars.
Lors du 8 mars, Femmes Entre Elles met en évidence la quasi absence de noms de femmes, et encore plus de lesbiennes, sur les plaques de rue de la ville.
À peine 4% à l’époque, aujourd’hui je crois qu’on avoisine les 20%.
De fausses plaques sont fabriquées, exposées et installées.
Cette initiative est reprise nationalement, y compris dans un manuel scolaire de première S en 1997.
Autre exemple, dans les années 2000, parmi la riche histoire des lesbiennes féministes de FEE la mobilisation pour les marches de nuit avec le collectif Droits des Femmes 35.
pour la marche mondiale des femmes à Rennes, à Paris, à Bruxelles, avec parallèlement la participation aux centres gays et lesbiennes, bi et trans, aujourd’hui Iskis, à partir de 2001, l’énorme mobilisation contre la présence du Front National au second tour des élections présidentielles en 2002.
Et bien sûr les mobilisations sur le pacs et le mariage pour tous, malgré la haine des manifestants et mani- festantes qui avaient alors envahi la ville.
Pour conclure, il faut souligner deux éléments singuliers rennais.
Les lesbiennes se sont consti- tuées en force collective, en sortant du mouvement homosexuel, alors qu’ailleurs quasiment toutes les associations lesbiennes se sont créées en sortant les entités féministes.
Deuxième point, les lesbiennes féministes rennaises ont dépassé les dimensions locales et contribué à des coordinations régionales, prenant une place reconnue dans des initiatives à portée nationale et montrant que tout ne se passe pas à Paris.
Pour terminer, il s’agit de remercier les mem- bres de l’association Femmes Entre Elles, association qui existe toujours, et qui a mis à la disposition des chercheuses les archives et qui a permis les interviews de ces membres.
Femmes Entre Elles est la plus ancienne association lesbienne à visée militante sur le territoire français, probablement en lien avec sa capacité à articuler au fur et à mesure des décennies, la mobilisation pour la visibilité lesbienne et les activités conviviales.
[Applaudissements] On vous propose de faire circuler un micro pour les questions, remarques.
Je suis là, je fais circuler le micro.
– Ce que vous voyez là, ce sont des vi- gnettes d’une conférence intitulée ILIS une conférence internationale lesbienne à laquelle ont participé des militantes de la Cité d’Elles, et probablement également de Femmes d’Entre Elles, et donc qui a été un lieu de réflexion et de découverte pour des lesbiennes, notamment sur la question du rapport entre les femmes blanches et de couleur.
Ce qui est intéressant aussi c’est de voir que toutes ces coordinations régionales, nationales voire internationales, les lesbiennes s’auto-organisaient entre elles pour s’accueillir, pour que ça coûte le moins cher possible, pour faire du covoiturage, et pour que ça ne soit pas des aventures individuelles.
Ce qui est intéressant dans les mouvements féministes et lesbiens c’est de voir que ça a été des mouvements collectifs et qu’encore aujourd’hui, c’est bien le collectif qui fait force et qui permet d’exister pour ce qu’on est et ce n’est pas individuellement qu’on peut s’en sortir.
– Si vous avez des questions, n’hésitez pas…
– Ça y est, la première question, après je suis sûre qu’on ne les arrêtera plus.
– Est-ce qu’il y a un risque à faire de la recherche universitaire d’institutionnaliser, des mouvements militants ?
– Oui, il y a des questionnements effectivement sur ça, ça a été le cas par exemple pour les études féministes, là ça commence à se poser pour ce qu’on appelle les études LGBT+.
Il y a des questionnements autour de ça, sur comment mener en tout cas les recherches sur ces sujets-là, et comment réussir à garder certains éléments disons plus militants, qu’une institution universitaire ou qu’une institutionnalisation pourrait effacer.
Aujourd’hui, il y a des réseaux qui essayent de mettre en place des liens entre les associations militantes, notamment trans-pédé-gouines, qui aujourd’hui sont beaucoup de collectifs, en tout cas dans des villes régionales, mais c’est aussi le cas sur Paris, qui sont beaucoup sur le fait de récolter les mémoires, des archives ou avec des entretiens etc., enfin en tout cas vraiment d’avoir des espaces dans lesquels les personnes concernées peuvent garder des archives, des journaux, des textes qui sont écrits, des lettres, etc., et donc en fait il y a des collectifs de recherche entre de l’universitaire et du militant qui se mettent en place sur ça.
Il y a le réseau par exemple Big Tata qui s’est créé il y a quelques années et qui est une des initiatives plutôt militantes autour de ça mais qui accueille aussi des chercheu- reuses qui travaillent sur ces sujets et qui réfléchissent à mettre en place des centres d’archives qui ne sont pas justement des centres d’archives nationaux, institutionnalisés, etc.
mais plutôt des centres d’archives locaux soutenus par des groupes militants, des associations ou des personnes acteurices des luttes, et qui permet en fait de garder un peu la main sur qui vient, qui peut regarder les archives, etc.
Oui, il y a beaucoup de réflexion autour de ça à l’université, mais c’est beaucoup bousculé par les collectifs militants.
Par exemple, il y a le collectif Big Tata mais à l’intérieur de ce collectif il y a une commission, — je ne sais pas si iels l’appellent comme ça —, mais en tout cas Archigouine, qui est spécifiquement sur cette idée des archives lesbiennes, gouines.
Donc oui, il y a des éléments autour de ça.
– Il y a effectivement des chercheureuses qui se posent des questions sur comment ne pas rendre…
Comment ne pas trahir les personnes qui confient leur parcours ou qui témoignent de leur existence de militance ou d’adhésion à des associations quelle que soit la minorité, ce problème-là est global dans ce qu’est l’université aujourd’hui.
Avec ce que Camille expliquait au départ c’est-à-dire que, soit les chercheureuses sont des personnes impliquées et on leur dit que c’est trop subjectif soit elles ne le sont pas et le risque c’est qu’elles objectivent les personnes et ne les prennent pas comme sujet.
Donc les initiatives qui visent à croiser des positions militantes et universitaires font avancer un peu toutes ces questions-là.
Je ne sais pas si ça répond à votre question.
– Je me demandais aussi, est-ce que vous avez déjà eu affaire à des archives négationnistes concernant la communauté queer, par exemple des archives publiques qui nient l’existence de la communauté queer dans certaines manifestations ?
– Ce qu’on peut constater, Camille en a un peu parlé, c’est que parfois dans les comptes rendus de réunions ou dans les journaux c’est plutôt de l’invisibilité plutôt que du négationnisme en soi.
Ça, ça a été comme ça pendant des décennies.
Le mot lesbienne n’apparaissait pas.
Enfin, je ne sais pas comment dire, c’était tellement…
Ça n’existait pas, quoi.
Donc, en ce sens-là, oui, ça a duré un certain temps, y compris dans les tracts de certains groupes ou partis politiques, dans les compte-rendus de manifs.
Il y a des partis qui ne faisaient jamais de comptes-rendu sur les LG Pride, c’est une forme d’oubli, on va dire, ou de censure insconsciente ou pas.
– Moi, personnellement, dans les archives auxquelles j’ai eu accès, je ne crois pas.
Je sais que j’en avais discuté avec une autre personne doctorante et qui travaille sur l’histoire sociale des lesbiennes au XIXe et au XXe siècle.
Elle aurait bien voulu avoir accès à des écrits personnels, intimes, des carnets de rédaction etc., de lesbiennes mais qui sont donc détenus par la famille et la famille refuse strictement qu’il y ait accès à ces carnets etc.
Ce n’est pas exactement une sorte de négation mais en tout cas, il y a des confrontations des fois sur certaines traces d’archives qui peuvent mentionner les rapports amoureux, sentimentaux, etc., que cette personne pouvait avoir et que la famille ne veut surtout pas que ça puisse se savoir en dehors d’un cercle plus large donc oui effectivement, il y a des questions un peu autour de ça.
Après au-delà de cette idée de négation, un des éléments un peu sur l’histoire LGBT, une des réflexions qui émergent de différentes chercheureuses, c’est un peu la violence des archives.
C’est-à-dire, on est confronté à des archives qui sont super chouettes, qui mettent en valeur des premières rencontres lesbiennes ou homosexuelles, mais il y a aussi des archives qui sont des archives policières, qui racontent le tabassage des personnes, les personnes qui ont été enfermées dans les hôpitaux psychiatriques, etc.
En fait, il y a des violences, une violence aussi de l’archive, et donc c’est toute la question de comment on lit ces archives, comment on les reçoit, qu’est-ce que ça nous fait à nous aussi en tant que personnes, etc.
Oui, c’est un questionnement qui se pose, par rapport à cette idée de violences, la violence des archives en fait qui, évidemment concernent surtout les personnes concernées de l’époque, mais qui se répercutent par rapport à nos propres expériences etc.
et qui peuvent ramener à des traumatismes.
Du coup voilà, donc il y a des questions autour de ça.
– Bonjour.
Déjà, merci pour cette conférence qui a été fort intéressante.
Nous, on est un groupe d’artistes chercheuses et on travaille sur les trajectoires…
On est par là !
On travaille sur les trajectoires et luttes queer dans les milieux ruraux et donc vous avez pas mal parlé de décentralisation des luttes par rapport à Paris et aux régions et on est un peu dans une galère sans nom pour trouver des infos dans les milieux ruraux.
On aurait voulu savoir si vous aviez des pistes de recherche sur ce genre de choses.
– À quelle époque ?
– XXe, fin XXe.
– Alors, normalement — je m’avance peut- être un peu et que tu m’en voudras —, mais normalement d’ici un ou deux ans devrait sortir un numéro thématique justement sur cette question des mo- bilisations queer LGBT en milieu rural.
Il y a eu un colloque en Belgique je crois, il y a…
quelques mois, il me semble, sur cette thématique.
En Belgique ou en Suisse, je ne sais plus exactement.
Je pourrais éventuellement retrouver.
Mais en tout cas, c’est une question qui commence un petit peu à émerger et donc en France, un petit peu moins.
Mais du coup, en Belgique et en Suisse, il y avait des personnes qui travaillent un peu sur ces sujets.
Après pour des sources vraiment plus précises, etc.
Je ne sais pas du tout.
– Merci.
– Bonjour, merci pour la conférence Même si on est à la limite de la période dont vous parlez ici, je voulais savoir si la dépénalisation de l’homosexualité en 1982 avait changé quelque chose dans la construction des mouvements lesbiens.
– Ce qu’on appelle la dépénalisation de l’homosexualité, en fait, ça concerne les lesbiennes et les gays.
Donc oui, ça a changé.
Les personnes interviewées en parlent.
Puisque dans les personnes qu’on a interviewées, la plupart sont nées entre les années 50 et 60 et quelques.
et ont vécu dans cette réalité-là de la pénalisation de l’homosexualité avec le risque soit d’internement psychiatrique, soit d’arrestations, enfin c’était plutôt dans les milieux gays mais comme le mentionnait Camille, il y a maintenant avec l’ouverture des archives policières et autres il y a des comptes rendus et des récits qui sont absolument glaçants de chasse aux gays, dans les lieux que fréquentaient les gays.
Donc oui, la dépénalisation…
En fait, quand on reprend l’histoire, comme dans le programme lié aux élections présidentielles de 1981, il y avait un certain nombre de mesures, on va dire positives, par rapport à la question de l’homosexualité.
Dès que les élections ont eu lieu et que le président de la République socialiste a été élu, il y a un certain nombre de pratiques, on va dire répressives, qui se sont apaisées pour finalement dispa- raître petit à petit au fur et à mesure que les lois et les décrets paraissaient.
Mais c’est resté dans la mémoire de bon nombre de gens très longtemps.
Ce n’est pas parce qu’une loi parait que les effets de la loi s’arrêtent immédiatement.
Donc voilà, je sais pas si ça répond à votre question ?
– Oui, j’avais surtout en tête, est-ce que des associations nouvelles ont vu le jour ?
– Par exemple, la création de Femmes Entre Elles en 82, la Radio Libre en 84, ce genre de choses, c’est lié très directement à tout ça.
C’est-à-dire qu’il faut imaginer qu’avant, on était dans un système extrêmement étouffant et que les différents partis politiques de gauche et d’extrême gauche avaient mis dans leur programme un certain nombre de mesures progressistes pour les femmes, mais aussi pour tous les milieux discriminés, notamment les milieux homosexuels.
Par exemple, l’apparition des radios libres, la fin de l’ORTF Il y a eu plein de choses qui ont contribué à ce que les paroles minoritaires puissent s’exprimer, notamment le mouvement homosexuel et lesbien.
– Merci.
– C’était le cas aussi pour la recherche, par exemple, de subventions pour des locaux, etc.
Effectivement, ça a été possible aussi parce qu’il y a eu la dépénalisation.
et des collectifs lesbiens ont lutté auprès des collectifs des GLH, du CUARH etc., pour la dépénalisation de l’homosexualité.
Il y avait un militantisme lesbien dans ces luttes pour la dépénalisation aussi notamment avec le Miel par exemple, le mouvement d’information et d’expression des lesbiennes, très associé au CUARH, Comité d’urgence anti-répression homosexuelle qui est créé vraiment un peu dans cette ligne de la dépénalisation, de lutte pour la dépénalisation, et qui ont organisé plein de manifestations ensemble sur Paris, qui ont ensuite été organisées aussi en région, etc.
– Après, il y a eu tout le champ qui a mis du temps à émerger de lutte contre les discriminations homophobes ou lesbophobes au travail.
Ce qui explique qu’encore entre 1993-95 à Rennes, des gens avaient peur de rendre visible leur homosexualité, leur lesbiennisme par rapport à leur lieu de travail.
Ceci dit, aujourd’hui, ce n’est toujours pas…
Il faut garder ça en tête.
On oublie…
Quand on refait un peu l’histoire, on se rend compte qu’il y a des choses qu’ont été gagnées évidemment mais qu’il y aurait aussi matière à nouveau se mobiliser de manière très importante pour que chaque personne ait le droit de vivre comme elle a envie de vivre.
Notamment par rapport à la question des discriminations au travail mais aussi dans la famille, on voit revenir au grand galop des tas de problèmes et c’est vrai qu’il y a eu, par exemple dans certaines villes de France, des marches lesbiennes et ce n’est pas pour rien.
On voit bien qu’on est face, à nouveau, à une période qui s’annonce bien difficile.
– Bonjour et merci pour cette conférence.
Je ne sais pas si j’arriverai à bien m’exprimer pour cette question, mais est-ce que ça arrivait pendant les manifestations que faisaient les gays et les lesbiennes que la police réagisse de manière agressive, verbalement et physiquement envers ces personnes ?
– À Rennes et à ma connaissance, non.
Après, j’ai participé une fois à une manifestation à Paris qui a très mal tourné.
Mais à Rennes, à ma connaissance, il n’y a pas eu de répression ou de menace.
Il y avait même, j’ai souvenir, un accompa- gnement plutôt sympathique, on va dire des forces de police.
– Ça dépend peut-être à quelle période, par exemple en 1982 il me semble, la commission sur Paris du CUARH, organise justement un petit rassemblement, et en fait je crois qu’une trentaine, principalement d’hommes, homosexuels se font arrêter.
Après, une manifestation est appelée le lendemain pour demander leur libération, etc.
Je pense que ça dépend effectivement des périodes et des moments mais en tout cas il y a eu des épisodes de répressions comme ça autour et alors que…
Je ne sais plus si la loi sur la dépé- nalisation était déjà passée ou pas, mais en tout cas j’ai quelques exemples comme ça de manifestations où où des personnes se sont faites arrêter, avec des contre-manifestations le lendemain.
– Alors, c’était une question de mes nièces, Nora qui a 13 ans et Sissi qui a 10 ans, elles sont venues assister à cette conférence.
Je ne sais pas si elles ont tout compris mais c’est très bien.
Moi, j’avais une question qui était relative que vous parliez des discriminations, qui ont bien évidemment encore lieu malheureu- sement au travail et même dans l’espace familial.
J’ai cru comprendre mais j’ai trouvé relativement peu d’infos là dessus sur le problème du coming in pour les per- sonnes âgées notamment dans les EHPAD.
Je n’ai pas trouvé d’éléments pour me renseigner là-dessus et je sais qu’effectivement c’est problématique parce que j’en ai eu vent par des personnes qui m’en ont parlé mais je ne sais pas du tout où rechercher ça, et je ne sais pas s’il y a encore des recherches qui ont été faites d’ores et déjà là-dessus.
– C’est sûr que pour les lesbiennes c’est un peu la terreur, de se dire qu’on va peut-être se retrouver en EHPAD, bien hétéronormée et hétérosexuée.
Pour l’instant, il y a eu des expériences à Paris avec Thérèse Clerc sur les Baba Yaga, par exemple, c’était une expérience avec un petit nom- bre de personnes mais très intéressante.
Voilà, je ne sais pas quoi vous dire.
Il y a un chantier énorme à ouvrir, il faudrait se dépêcher un peu parce qu’effectivement on vieillit !
(Rires) C’est vrai que c’est très étonnant parce que je me rends compte, qu’il y a la question des des lesbiennes vieillissantes ou des gays vieillissants, chacun son lot.
Mais rien n’est résolu non plus pour les jeunes.
Moi, j’entends des psy, des prof·fes, tout ça qui parle de la détresse de jeunes gays et lesbiennes.
Aujourd’hui, en 2025, ça fait peur quand même.
Le nombre de tentatives de suicide liées à la question de l’orientation sexuelle n’a pas baissé.
On est en 2025, donc c’est très important de voir l’histoire et de voir comment les choses se sont cons- truites, mais c’est aussi important de se dire, et c’est super qu’il y ait ici des gens jeunes, de se dire qu’il va falloir retrousser ces manches militantes, parce que les nuages sont là.
Après une période de progression très importante, là on est dans une période plus compliquée.
Merci pour la question sur les EHPAD et les espaces pour les vieilles, on va y penser.
– C’est vrai qu’il y a quelques recherches qui commencent à être menées, alors pas ma connaissance sur les EHPAD en particulier mais sur la vieillesse chez les personnes LGBT etc.
Et du coup un isolement, des fois des ruptures familiales donc en fait on se retrouve seul·e avec peut-être un réseau d’ami·es, mais en tout cas on n’a pas forcément la famille pour pouvoir compter derrière, etc.
Donc il y a toutes ces questions qui se mettent en place, mais alors sur les EHPAD, je ne connais pas exactement, mais là les recherches dont je parle, elles sont en cours et très récentes, qui n’ont probablement pas encore publié.
En tout cas, je n’en ai pas exactement la con- naissance, il y en a peut-être quelques-unes Donc oui, il n’y en a pas beaucoup, c’est en cours.
Sur les EHPAD, il y a vraiment des choses sur lesquelles s’interroger.
– C’est pas une question, c’est pour vous répondre.
Mais il y a un podcast (Gouinistan & Co.), de l’ORTF, c’est Suisse, qui travaillent…
Oui, c’est ça, Christine Gonzalez (et Aurélie Cuttat).
Il y a des questions qui se posent sur l’après pour les gays et les lesbiennes, c’est à la fois des communautés, des personnes qui réfléchissent à l’après Oui, c’est ça, le Vieillistan.
Donc d’abord le Gouinistan, des personnes qui témoignent de leur parcours de lesbiennes et de filles homosexuelles.
Et ensuite, le Vieillistan, c’est sur l’après, comment vivre ensemble ou non des EHPAD de lesbiennes.
Ce ne sont pas des réponses intellectuelles, mais des réponses quand même.
– Merci pour la conférence.
Je voudrais juste illustrer ce que vous avez dit à propos de féministe et lesbienne.
sur un domaine qui a été extrêmement sensible, qui nous a beaucoup remué dans la communauté.
Ce sont les mères lesbiennes, les enfants.
Les enfants ne sont pas un problème, mais disons, le désir d’enfants, voilà.
Je me permets de faire cette intervention parce que je pense que ce sujet, des enfants liés au milieu homosexuel, pourrait être utilisé dans l’avenir contre la communauté.
– Il y a depuis longtemps maintenant des associations dont l’objectif est justement de porter la cause de l’homoparentalité, puisque ça s’appelle comme ça Il y a eu un certain nombre de recherches, notamment de psychologues, sur le fait que le désir d’enfant dans les familles homoparentales ne posait non seulement pas de problème, mais il y avait moins de violence intrafamiliale auprès des enfants que chez les familles hétéros.
Après oui, je pense que de toute façon, tout l’espace de la cause lesbienne, gay, trans, tout l’espace LGBTQI+, peut être menacé à tout moment.
Il n’y a qu’à regarder ce qu’il se passe aux États-Unis ou ailleurs.
L’homoparentalité en fait partie.
Oour moi, ce n’est pas plus ni moins qu’un des éléments de cet espace-là qui peut être effectivement mis à mal.
Mais il y a des associations comme les Enfants d’Arc-en-Ciel, Contact, il y a pas mal maintenant de forces qui ont une portée nationale, voire même internationale et qui…
s’occupe de cette question-là.
Je ne sais pas trop le risque pour la communauté, je ne sais pas.
En tout cas, à l’intérieur de la communauté, ça peut effectivement être des personnes menacées comme d’autres membres de l’espace LGBTQI+.
Je pense que là, par rapport au réarmement démographique s’ils vont jusqu’au bout de leur logique, toute femme pourra se retrouver de toute façon dans une situation très compliquée.
Parce qu’il n’y a pas que les lesbiennes qui n’ont pas de désir d’enfant, même si on ne le dit pas beaucoup, il y a aussi un certain nombre de femmes hétérosexuelles qui n’ont pas du tout envie d’avoir d’enfant.
– Sur cette question des mères lesbiennes, ça a été un gros sujet de revendication des mouvements lesbiens dans les décennies 80.
Parce qu’une partie des militantes, je ne pourrais pas dire une proportion, mais en tout cas une partie des militantes lesbiennes ont pu être mariées avant, ont eu des enfants en étant un couple hétérosexuel, etc.
Lorsqu’elles divorçaient et qu’il y avait des affaires autour du divorce pour la garde des enfants, l’homosexualité, si elle était sue par l’ex-mari, pouvait être utilisée pour qu’elle perde la garde de leurs enfants.
Il y a plusieurs grandes histoires nationales connues et qui ont mobilisé les groupes lesbiens autour de ces femmes qui, pendant plusieurs années, ont lutté au niveau juridique pour garder la garde de leurs enfants.
Pour faire en sorte que le lesbianisme, l’homosexualité féminine soit pas reconnue contre la mère dans le cadre des gardes des enfants.
Par rapport aussi au sujet sur le lesbianisme féministe, cette question donc elle a été assez importante dans les revendications lesbiennes mais elle a opposé justement les courants lesbiennes féministes et les courants lesbiennes radicales.
En fait, dans les courants lesbiennes radicales, notamment dans les témoignages de personnes qui ont été au front des lesbiennes radicales de Paris, il y a eu des discussions très houleuses sur le fait qu’il ne fallait pas avoir d’enfants, qu’en plus si on avait un enfant qui était un homme, on devait surtout s’en débarrasser en quelque sorte.
En tout cas, il y a eu vraiment des conflictualités très importantes autour de ces questions-là.
La question des revendications autour des mères lesbiennes a été très peu investie, ou en tout cas pas du tout de la même manière, par les lesbiennes radicales.
Donc ça, ça a été un peu un point de tension entre les deux courants lesbiens qu’on connaît.
– Bonsoir.
Je me demandais, quelle était la place des femmes trans-lesbiennes dans ces luttes ?
– Pour la période qu’on a abordée, et en tout cas en ce qui concerne Rennes, à cette époque-là, le mot n’était même pas prononcé.
On peut comparer ça à la situation des lesbiennes.
C’est-à-dire que c’était une réalité qui n’existait pas.
Pour la période dont on parle.
À Rennes, la question transgenre apparaît, je pense, dans les années 2000-2001, quelque chose comme ça.
Au moment d’ailleurs où se crée le centre gay et lesbien, qui deviendra ensuite gay, lesbien, bi et trans.
Mais avant, ça n’existe pas.
– La question trans, dans les années 70-80, on la voit un peu plus apparaître du côté du mouvement de libération homosexuelle.
En tout cas, les traces dans les archives, par exemple écrites notamment, ne sont pas nombreuses, clairement, mais sont un peu là.
Quelques écrits des groupes de libération homosexuelle, des GLH, peut y avoir de temps en temps une référence aux personnes trans, sur la question souvent de, est-ce que ce sont des homosexuels comme les autres qui doivent être inclus dans nos luttes homosexuelles, etc.
Il y a le Centre du Christ libérateur qui a été un accueil pour des personnes transsexuelles.
Par contre la question trans dans les groupes lesbiens et féministes, elle n’apparaît pas dans les archives, ce qui veut pas dire qu’il n’y avait personne mais ce qui veut dire qu’il n’y avait aucune possibilité de visibilisation à cette période-là.
Donc déjà que réussir à retrouver des fois les archives lesbiennes, déjà ça c’est compliqué et donc réussir à retrouver derrière, les traces de personnes transféminines, c’est encore plus délicat.
Pour le coup, je ne m’intéresse pas à cette question-là donc je n’ai pas forcément recherché plus, mais en tout cas dans beaucoup d’archives c’est vraiment plutôt du côté des écrits, des revues homosexuelles que des revues féministes ou lesbiennes, que j’ai pu apercevoir cette question.
– En plus, dans les années 70, on parlait des travestis.
Mais sinon, il n’y avait vraiment pas de propos politiques, on va dire, un peu portés sur la question des personnes…
Enfin, sur la question du transgenre ou de la transsexualité, comme on disait.
Après, c’est très intéressant, comme question, de voir comment…
La question lesbienne a émergé et comment les femmes lesbiennes racontent une enfance où elles n’avaient aucun modèle d’iden- tification et le mot n’existait même pas, au mieux il y avait le mot gouine mais c’était une injure, et depuis quelques années c’est la question des trans qui vient nous chercher parce que ce sont des personnes qui souffrent et qui sont mises très souvent à mal, comme ont pu l’être d’autres personnes minorisées, toujours avec cette espèce d’idée qu’il y aurait une norme, et que dans la norme il y aurait encore d’autres normes et des gens qui seraient…
C’est une réflexion que je trouve toujours très intéressante de voir où est-ce qu’on se situe, comme surplombant ou pas, ceux ou celles qui ne seraient pas tout à fait comme il faut, pas comme nous, qui dérangeraient, qui divise- raient, tout un discours qu’on connaît par cœur.
– Peut-être juste, je pense qu’il y aurait des éléments à aller chercher du côté du FHAR, du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire.
Il y avait un groupe qui s’appelait Les Gasolines et qui était en fait, ce qu’iels appelaient elleux-mêmes la tendance folle du mouvement homosexuel.
À l’époque, on parlait soit de personnes travesties, transsexuelles, il y avait certaines de ces interrogations, mais je n’ai pas beaucoup plus d’informations, mais je pense qu’il y a peut-être des informations à aller trouver de ce côté-là.
– On vous remercie toutes les deux beaucoup.
On peut les applaudir.
[Applaudissements] Je ne sais pas si Guylaine est encore dans la salle, parce que l’association Histoire du féminisme à Rennes proposait à la vente le livre Les femmes s’en vont en lutte, signé par Patricia Godard et Lydie Porée, Si ça vous intéresse, c’est juste ici.
Merci encore, et puis on vous donne rendez-vous le 23 septembre le premier Mardi de l’égalité de la dixième saison.
Bonne soirée.
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